Lors du dernier FNC, les organisateurs ont présenté deux films identiques, Demain, dès l’aube de Denis Dercourt et The Wild Hunt d’Alexandre Franchi. Deux films traitant du même sujet soit la relation entre deux frères sur fond de jeux de rôles, deux films aux enjeux similaires mais aux traitements différents. Comparons.
Demain, dès l’aube raconte l’histoire de Paul (Vincent Perez) qui suite à un mariage qui bat de l’aile décide d’aller vivre chez sa mère malade et de s’occuper de son frère, Mathieu (Jérémie Renier) pendant que celle-ci est à l’hôpital. Jérémie est un passionné d’histoire et s’adonne aux jeux de rôles. Il part les weekends en campagne où il rejoint des soi-disant passionnés comme lui où il se déguise en soldat du Ve Régiment. Vincent décide de l’accompagner et les choses tournent au vinaigre. Il sera traqué dans son quotidien pour un duel dont il ne veut pendre part. Tout ça se terminera de façon tragique sous fond de vengeance familliale. Gagnant du Prix du Meilleur Premier Long Métrage Canadien au dernier Festival du Film de Toronto, The Wild Hunt raconte l’histoire d’Erik qui s’occupe de son père malade dans un appartement miteux en bordure de la Décarie pendant que son grand frère Bjorn s’amuse dans un jeu de rôle en plein milieu de la campagne québécoise. Sa copine, ayant besoin d’espace, le quitte pour réfléchir et se réfugie dans les bras d’un chef de bande rivale à Bjorn. Erik décide d’aller chercher sa copine dans la forêt et par le fait même résonner son frère. Les choses tournent au vinaigre et tout ça se terminera de façon tragique sous fond de vengeance familliale.
Ayant d’avance un partie pris pour The Wild Hunt puisqu’il s’agit d’un film québécois indépendant scénarisé et joué par un ami, c’est tout de même en visionnant les deux films qu’il devient apparant que Demain, dès l’aube est le plus faible des deux, partis pris ou non. Malgré des prestations solides de Perez et Rénier et une belle mise en scène lors des duels napoléoniens, on ne comprends jamais les intentions de Dercourt. Se rit-il des gens qui participent à ces jeux de rôles comme l'avait fait l'autre Denys dans son Âge des ténébres? On en ait jamais sûr. Malgré sa passion pour l’histoire, Mathieu semble avoir un léger syndrome d’Asperger et les autres participants semblent obsédés par le pouvoir de leur gallons militaires et l’admiration qu’ils ont les uns pour les autres tout en prenant le jeu un peu trop au sérieux au point de mettre en danger la vie de ceux qui insultent leur régiment. Nayant visiblement aucun amour ou intérêt pour les jeux de rôle, son film se transforme peu à peu en suspense risible où le personnage de Paul se retrouve dans une situation exagérée qui nous éloigne des raisons pour lesquelles il est en crise existentielle ainsi que ce dénouement qui n’apporte rien sauf l’incompréhension des intentions du réalisateur. Dercourt nous dit que les passionnés de ces jeux de rôles sont tous un peu fêlés et ont de graves problèmes psychologiques qui les empêchent de délimiter le vrai du faux, la réalité de la fiction, le jeux de la vrai vie. Franchi ne rabaisse jamais ses personnages et malgré la passion de ceux-ci pour le jeu, ils savent qu’il s’agit d’un divertissement auquel ils ont décidé de participer et se permettent de sortir de leur personnage créant un écart humoristique à l’œuvre et délimitant par le fait même, le vrai du faux. Les personnages de The Wild Hunt s’amusent et se frustrent aussi et même si les évènements deviennent hors de contrôle, ils restent à l’intérieur de leur terrain de jeu nous laissant ainsi embarquer dans un univers spécial, un atmosphère claustrophobique puissant qui transforme le film en expérience cinématographique captivante. Les quelques fois où le film nous montre des images de la ville, on se sent étouffé par le béton et les autoroutes tellements la rupture entre les deux univers est grande. Dercourt nous montre également ce côté reconstitution historique vs urbaniste mais l’effet ne fonctionne pas. Après le banquet costumé, les personnages retournent chez eux dans une campagne moderne alors la discorde entre les deux univers n’existe tout simplement pas. Les personnages de Franchi malgré leur côté bon enfant veulent gagner un jeu et visiblement s’amusent comme des fous alors que ceux de Delcourt ne veulent que l’admiration et le respect étant blasé par leur statut et ressemblant à de jeunes enfants gâtés prêt aux pires coups bas pour montrer l’étendue de leur pouvoir fictif. Mais ils perdent rapidement le sens du risque, à en juger par le duel final, lorsque c’est leur vie qui est en danger. Bref, de grand parleur et d’encore plus petit faiseurs.
De plus, le film de Dercourt nage dangereusement en territoire « suspense cheap » où ses personnages vont jusqu’à menacer Perez en duel à l’extérieur du jeu en le suivant jusqu’à chez lui, la nuit ou en l’espionnant au restaurant où tout autre endroit car ils savent toujours où il se trouve. Comme si Perez et son frère étaient entrés dans un club sélecte ou une secte à la Fight Club ou The Skulls et qu’ils étaient les 2 seuls à faire partie des « gentils ». Le duel final/vengeance n’a pas le poids qu’il devrait avoir puisqu’on s’aperçoit que le film ne veut rien dire et n’a aucun but et par le fait même aucun impact. D’autant plus qu’il est télégraphié par un revirement douteux. Le message du film nous apparaît comme étant une insanité du genre »Quand l’honneur est touché, il faut demander réparation » ou autre ineptie anachronique que Dercourt se défend mal d’actualiser.
TheWild Hunt assume toujours son genre et ne perd jamais de vue la quête de ses personnages. Bien que le film tombe en territoire violent dans sa finale, la conclusion/vengeance à quelque chose de perversement jouissif ou de jouissivement pervers. On peut ne pas être d’accord avec cette finale surprenante mais reste qu’elle est en accord avec la quête de Bjorn et les thèmes établies par Franchi et son co-scénariste Mark Kruppa, contrairement à Dercourt qui conclue son film de façon hâtive et sans relation avec les tourments de son protagoniste. Franchi et Kruppa ont quelque chose à dire sur l’héritage ancestrale et les multiples liens qui unissent les membres d’une même famille. The Wild Hunt nous permet de comprendre ce que ces gens vont chercher dans ces jeux de capes et d’épées tout en ayant en tête l’idée de s’amuser alors que Dercourt nous présente des gens blasé, sans ambitions.
Dercourt hésite entre drame où les motivations du protagoniste n’ont rien à voir avec se qu’il vit alors que Franchi nous fait découvrir un univers complètement nouveau dans le cinéma d’ici et la quête de ses protagonistes commence et se termine dans cet univers qui côtoit le mythe invoqué dans le titre et sa conclusion inévitable. La quête de Paul en est une de fierté et d’honneur un peu égoïste alors que pour Bjorn elle passe à travers sa rédemption et l’éloignement de ses responsabilités familliale, guerrières et ancestrale.
The Wild Hunt n’est pas un film parfait, d’ailleurs les raisons de la mutinerie sont escamotés créant une énorme confusion dans le récit vers sa conclusion. Toujours est-il que le film offre de spectaculaires images nocturnes et un climat, un atmosphère et un univers rappelant un peu Le Festin des morts de Dansereau. Le film nous plonge dans ce monde perdu et ne nous laisse jamais tomber.
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